Info et Articles de Presse

Interview exclusive de Roger Federer

«Tout donner pour revenir, c’est aussi ma manière de remercier mes fans»

Même s’il ne rejouera pas en compétition avant l’été 2022, Roger Federer annonce qu’il veut revenir. «Pour un petit tour ou quelque chose de plus grand.»

Mathieu Aeschmann - 24heures.ch  - 17.11.2021



Parce que le temps passe vite et que trop de monde parlait pour lui, Roger Federer a pris son téléphone. «Il faudrait que je donne des nouvelles.» Entre une séance de rééducation et des soins avec son physio Dani Troxler, le Bâlois a donc choisi la «Tribune de Genève» et «24 heures» pour ouvrir son cœur et son bulletin de santé. De ces quarante minutes d’entretien jaillira un constat: l’immobilisation forcée n’a pas freiné cet élan originel qui fait la force de «RF»: son optimisme.

Roger Federer, le monde du tennis spécule sur la date de votre retour et une éventuelle participation à l’Open d’Australie. Qu’en est-il?

La vérité, c’est que je serais incroyablement surpris de jouer Wimbledon (ndlr. en juillet); autant dire que l’Australie n’entre même pas en ligne de compte. Et cela n’a rien d’une surprise. On savait avant l’opération que sa nature nécessiterait de longs mois de pause. Il n’y a donc rien de nouveau. Je voulais attendre le premier grand check-up des médecins pour en parler: il est très encourageant. J’ai donc commencé un long processus de rééducation dans lequel je mets tout mon cœur. Mais c’est ainsi, la situation n’a rien à voir avec celle de 2016. Il faut être patient pour laisser le temps à mon genou de récupérer à 100%.

Dans l’imaginaire collectif, un ménisque se soigne vite; on se souvient de Zurbriggen, de Baresi, de votre genou gauche. Pourquoi est-ce si long cette fois?

Les examens passés après la saison de gazon ont révélé une nouvelle lésion de mon ménisque interne droit. On a donc décidé de le suturer, ce qui implique un certain temps d’immobilisation; les médecins en ont donc profité pour traiter aussi mon cartilage. Or la combinaison de ces deux interventions impose de la patience et de la prudence. C’est pourquoi je ne pouvais pas poser mon appui lorsque je me déplaçais avec des béquilles. Cette opération, j’allais de toute façon devoir la faire pour mon bien-être à long terme. Il s’agit d’une intervention réparatrice. En ce sens, elle est plus importante que celles de 2020 qui visaient à me soulager d’une gêne que je traînais depuis quelques années.

La différence de réaction entre votre genou droit et le gauche vient-elle du déséquilibre des appuis sur les coups de base?

C’est mon sentiment, mais on ne peut pas en être certain. Le fait de frapper le coup droit, en appuis ouverts, et le revers, en appuis fermés, avec le gros de la charge sur le genou droit, a sûrement joué un rôle. J’ai d’ailleurs toujours senti que mon genou droit était mieux coordonné. Je le sens dans les exercices avec Pierre (ndlr. Paganini), il tient plus. C’est le plus intelligent, le plus réactif des deux. Je joue aussi au foot du pied droit. Sans doute que ce supplément de charge, en force et en coordination, a fait qu’il a plus souffert sur la durée.

Quel est votre calendrier estimé vers un retour à la compétition?

Selon les médecins, je pourrai recommencer à courir tranquillement en janvier et donc retourner tout doucement sur un court. (Il sourit.) Bon après ils ne le savent pas, mais j’ai déjà un peu joué avec les enfants… Ensuite, le retour à un entraînement qui ressemble à du tennis, donc avec des pas chassés et des appuis complexes, ce sera pour mars ou avril. Il faudra alors reconstruire toute la condition physique propre à la complexité du tennis et à l’intensité du très haut niveau. Aujourd’hui, j’estime donc mon retour à la compétition pour l’été 2022. Mais les quatre ou cinq prochains mois vont être décisifs et on y verra beaucoup plus clair ce printemps.

Alors projetons-nous à l’été prochain, quelles seront vos ambitions de joueur de tennis?

Avant de répondre, je veux dire que j’ai entrepris cette opération pour pouvoir faire du ski avec mes enfants, jouer au foot ou au tennis avec mes amis dans les décennies à venir. Ma première motivation, c’était de me remettre en forme pour ma vie d’homme. Mais je voulais empoigner cette rééducation exigeante avec le corps et la mentalité d’un sportif d’élite. Est-ce que j’aurais été capable de donner autant de moi-même dans la rééducation deux ou trois ans après ma retraite? Je ne sais pas. Concernant mes ambitions, on pourrait résumer ainsi: je veux aller voir une dernière fois ce dont je suis capable comme joueur de tennis professionnel. Je me bats pour ça et je suis très motivé. Je ressens le soutien de mon équipe, de ma famille. On aimerait tous que je puisse dire au revoir à ma manière et sur un court de tennis.



Dire au revoir sur le terrain, c’est au cœur du projet?

Oui. Et si on pousse le raisonnement, rejouer en 2022 ou 2023 ne fait plus une grosse différence: 40 ou 41 ans, c’est égal. La question est plutôt: est-ce que j’arriverai à me faire mal jour après jour? Aujourd’hui, mon cœur répond oui. Donc, je prends les choses étape par étape. C’est un challenge de plus, comme j’en ai affronté beaucoup dans ma carrière, parfois sans que le grand public ne s’en rende compte. Et même si je sais pertinemment que la fin est proche, je veux essayer de jouer encore quelques gros matches. Ce ne sera pas facile mais on va essayer.

Alors justement, on pourrait séparer vos fans en deux catégories. Ceux qui ne peuvent pas imaginer un Roger Federer qui joue sans gagner. Et ceux dont le plaisir ne dépend pas de vos résultats. Est-ce que vous comprenez cette opposition?

(Il réfléchit) Moi qui suis aussi un grand fan de sport, je trouve que chaque athlète doit choisir pour lui-même. C’est une décision infiniment personnelle. Dans l’absolu, il n’y a pas de bon moment pour partir. Juste le bon moment pour chaque sportif. Après, quelle image les gens garderont-ils de moi? Ce dernier set à Wimbledon en juillet dernier ou mes titres du Grand Chelem et ce qu’ils ressentaient en me regardant jouer? Je mise sur la deuxième réponse. Depuis quelques années, je suis donc assez relax sur ce point. Mais je comprends le ressenti des fans. C’est d’ailleurs pour eux que je voulais parler aujourd’hui: je pense qu’ils méritent de comprendre mes états d’âme et mes espoirs. Vous savez, le plus simple serait presque de dire: c’est bon, j’ai beaucoup donné, beaucoup reçu. On arrête tout. Mais tout donner pour revenir encore une fois, c’est aussi ma manière de les remercier. Ils méritent mieux que l’image laissée durant la saison de gazon cette année.




En parlant du gazon, vous avez quand même atteint les quarts de finale de Wimbledon avec un ménisque déchiré. Est-ce un constat encourageant dans votre situation?

J’ai senti dès Halle, contre Félix Auger-Aliassime, que mon Wimbledon n’allait pas être celui que j’espérais. Même sans connaître encore la nature de la lésion, je savais que j’allais être limité. Mais lorsque tu mises tout sur un tournoi - sans doute comme ce fut le cas pour Rafa à Roland - c’est normal de mettre les problèmes de côté et de tout donner. Et puis tu espères toujours un miracle. Il y a toujours une petite chance… Que se serait-il passé si j’avais remporté le tie-break du deuxième set contre Hurkacz? Quand tu es diminué, tu t’accroches à tout ce que tu peux: tes victoires passées, ta connaissance du gazon. Mais avec un peu de recul, je me suis rendu compte que je n’avais gagné presque aucun point à Wimbledon suite à une belle défense. Or quand tu arrives en bout de course et que tu sais que ça coince, cela devient compliqué; surtout contre les meilleurs. Après, ce Wimbledon empêché a confirmé que je savais toujours m’adapter et jouer à haut niveau malgré un handicap. Et puis rapport à tout le chemin parcouru en amont, il fallait tenter le coup.



On parle de Wimbledon, le tournoi phare de votre carrière. Vous nous annoncez ne pas être sûr d’y rejouer en 2022. A-t-on encore le droit d’imaginer Roger Federer briller à Church Road?

Si je me suis lancé à fond dans ma rééducation, c’est qu’il y a une chance que je revienne. Si j’enchaîne renforcement, vélo, piscine, exercices d’équilibre, si je travaillais mon haut du corps alors que j’étais en béquilles, c’est que j’y crois. Après, est-ce que je reviendrai pour un petit tour ou pour quelque chose de plus grand? Personne ne le sait, ni les médecins ni moi-même. Mais je me bats pour ça. Soyons clairs, ma vie ne va pas s’écrouler si je ne rejoue plus une finale de Grand Chelem. Mais ce serait le rêve ultime d’y retourner. Et en fait, j’y crois encore. Je crois à ce genre de miracles. J’en ai vécu. L’histoire du sport en écrit parfois. Je suis réaliste: il s’agirait d’un énorme miracle. Mais en sport, les miracles existent.